Tribune parue dans Stratégies le 29 juin 2020.
Tous utiles.
À leurs clients, à leurs collaborateurs, aux parties prenantes, à la société, aux territoires, à la planète. Beaucoup d’entreprises ont fait de l’utilité leur nouveau claim ou leur territoire de communication. Certaines avec plus de pertinence stratégique et créative que d’autres. Les proclamations se succèdent et les démonstrations se multiplient. Engagée depuis plusieurs années, sous l’effet des démarches RSE, la course à l’utilité s’est accélérée encore récemment sous l’effet de la crise qui solidifie le lien des entreprises à l’opinion : pendant le Covid, six français sur dix considèrent que les entreprises ont été à la hauteur, nettement plus que l’État (4/10). Pendant ces trois mois, la crise sanitaire a fait office de « stress test » de l’utilité. Qu’il s’agisse des secteurs dits essentiels, des entreprises engagées aux cotés des soignants, de celles qui ont multiplié les actions de solidarité, elles ont globalement fait la preuve de leur réactivité là ou l’État central (à la différence des services publics) était remis en cause pour son efficacité. À l’inverse, bien sûr celles dont l’engagement était distant, celles qui ont mégoté leur soutien, celles qui ont tardé à prendre la mesure de la crise, ont rapidement été interpellées et mises sur la sellette. Pas d’utilité donc sans responsabilité.
Mais la crise, par la multiplication des émetteurs, a aussi montré la complexité de communiquer sur ce territoire. Pour plusieurs raisons.
D’abord évidemment, la fonctionnalité du mot, son côté peu glamour, rend plus difficile le saut créatif. La première fois, que j’ai, il y a quelques années, proposé ce concept à un grand groupe de distribution, la réaction de l’équipe créative comme celle du jury ne déclenchait pas spontanément les applaudissements. Comment réussir à faire d’une valeur « fonctionnelle » une valeur « aspirationnelle » ? Comment donner de l’émotion à l’utilité ?
Ensuite, comment se différencier ? Si l’utilité devient un standard, un « must have », le risque premier sera bien sur sa banalisation. Avec le même effet que celui qui a frappé des mots comme confiance, croissance durable, écosystème, qui, à force, d’avoir été essorés par la communication ont perdu de leur sens et de leur force. Dans un champ devenu hyper-concurrentiel, le « tous utiles » risque de faire tomber la prime à l’utilité.
Cela évidemment amène à se demander comment réussir à émerger sur cette thématique ? En se comparant au benchmark de l’utilité ? En multipliant les dimensions d’action, et les parties prenantes visées ? En sélectionnant au contraire une action étendard ? Chaque situation est différente, mais je crois plutôt que l’utilité est un grand tableau qui assemble brique après brique, preuve après preuves, les morceaux d’un puzzle complexe et qui révèle la cohérence des actions engagées. La stratégie de l’utilité ne peut être conçue que de manière holistique, même si son récit a plus d’impact lorsqu’il s’écrit dans la segmentation des « histoires » et des canaux.
Enfin, l’utilité peut se révéler boomerang. Chaque mauvaise nouvelle, fréquente dans la vie de l’entreprise, peut facilement être retournée, critiquée, caricaturée et emporter en quelques instants le drapeau fièrement planté.
Comme cinq ans de bonus peuvent être perdus par le malus d’un seul accrochage, un travail de plusieurs années pour montrer à tous les publics ce que l’entreprise apporte peut s’évanouir sous l’effet d’une crise mal gérée. Car l’attente envers les entreprises les rend plus exposées. Une forme d’exigence de tous les instants, sur tous les sujets, vis-à-vis de toutes les parties prenantes qui fait de l’entreprise un acteur central de la société, mais un acteur à qui le moindre faux-pas n’est plus permis. Face à ce risque, c’est dans la reconnaissance des erreurs et leur correction, que l’entreprise peut échapper à la sanction. Pas d’utilité donc sans sincérité.
Au global, c’est bien dans un nouveau triptyque que se forge aujourd’hui le regard de l’opinion sur les marques et les entreprises : bien loin des années ou la performance, la puissance, le leadership étaient structurantes, c’est le trio responsabilité, utilité, sincérité qui est devenu différenciant.
Bernard Sananes