Les « gilets jaunes » : un mouvement social inédit
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Depuis début novembre 2018 et le début de la contestation des « gilets jaunes », la France connaît un mouvement social triplement inédit.
Il est inédit par sa mobilisation en dehors de tout cadre organisationnel existant (syndicats, partis politiques, associations, etc.). Il est inédit par sa longévité puisque depuis le samedi 17 novembre 2018 les manifestations nationales sont hebdomadaires. Il est inédit par les formes multiples de son expression : réseaux sociaux, pose du gilet jaune sur le pare-brise des voitures, manifestations hebdomadaires récurrentes, tentative de constitution de parti politique.
Il bénéficie depuis le début d’une solide approbation dans l’opinion publique (soutien ou sympathie) : elle dépassait les 70 % en novembre et décembre 2018, puis s’est stabilisée autour de 60% jusqu’à début mars [1]. La dernière étude Elabe du 20 mars 2019 montre que, quatre mois après le début de la mobilisation, 53% des Français l’approuvent (soutien et sympathie). Dans le détail, 24% des Français la soutiennent et 29% expriment de la sympathie pour la mobilisation. A titre de comparaison sur une période récente, la mobilisation sociale des syndicats de salariés de la SNCF au printemps 2018 était approuvée par 34 % des Français le 14 mars, 44 % le 4 avril et 36 % le 23 mai [2].
L’organisation horizontale, fragmentée et en dehors de tout cadre institutionnel classique, ainsi que la multiplicité des modes d’actions, rendent difficile l’étude de cette mobilisation sociale. Qui sont les « gilets jaunes » ? Ce mouvement « des ronds-points » est-il plus mobilisateur sur certains territoires, dans certaines catégories de population ou traverse-t-il toute la société française ? Quelles sont les opinions des « gilets jaunes » sur l’impôt, la justice sociale ou l’Union européenne ? A qui font-ils confiance ?
Entre le 14 décembre 2018 et le 8 janvier 2019, en partenariat avec l’Institut Montaigne, Elabe a interrogé 10 010 personnes réparties en 12 sous-échantillons régionaux de 800 individus (1 200 en Ile-de-France) représentatifs de la population résidente de chaque région administrative métropolitaine âgée de 18 ans et plus. Ce Baromètre des Territoires couvre un large éventail de thématiques (pouvoir d’achat, mobilités, lien social, justice sociale, rapport au territoire et aux acteurs de la société…) et inclut une question permettant d’identifier les Français qui se sentent « gilets jaunes ».
Les résultats présentés dans cette note reflètent donc la composition du mouvement social lors de la période de réalisation de l’enquête (14 décembre 2018 – 8 janvier 2019).
Sur les 10 010 répondants, sur la période d’interrogation, 21 % se disent « gilets jaunes » soit 2 083 répondants, 47 % ne se disent pas « gilets jaunes » mais soutiennent l’action et les revendications du mouvement, 27 % ne sont pas des « gilets jaunes », et 6 % ne se prononcent pas [3]. Cette proportion de « gilets jaunes » (21 %) est en phase avec les données mesurées par les enquêtes hebdomadaires Elabe/BFMTV qui ont montré qu’en novembre et décembre 2018, 20 % des Français se disaient « gilets jaunes ». Si elle correspond à un pic qui n’a cessé de régresser depuis, nous avons considéré que l’analyse devait justement reposer sur le point le plus haut du mouvement.
Sociographie d’une mobilisation sociale
Note de lecture : Les évolutions indiquées entre parenthèses indiquent le décalage entre les « gilets jaunes » et la moyenne nationale. Par exemple « 69 % ont retardé ou renoncé à des soins lors des douze derniers mois (+18) » signifie que 69 % des « gilets jaunes » ont retardé ou renoncé à des soins lors des douze derniers mois et que ce chiffre est supérieur de 18 points à la moyenne nationale qui est de 51 %.
Parmi les 2 083 personnes qui se disent « gilets jaunes », 53 % sont des hommes et 47 % sont des femmes, et parmi les personnes qui soutiennent l’action et les revendications du mouvement 55 % sont des femmes et 44 % des hommes. Cette présence des femmes est un phénomène plutôt rare dans les grands mouvements sociaux, mais fait écho à leur visibilité grandissante dans les manifestations.
Les actifs sont au cœur du mouvement : les 50-64 ans 30 % (+5 points par rapport à leur poids dans la population française), les 35-49 ans 28 % (+3) et les 25-34 ans 16 % (+1). Les catégories d’âge 18-24 ans (8 %, -2) et les plus de 64 ans (18 %, -6) sont légèrement sous-représentées. Le mouvement est composé à 57 % de personnes en situation d’emploi (+1 par rapport à la moyenne de l’échantillon interrogé), les personnes à la retraite ou en pré-retraite pèsent pour 21 % (-4), les chômeurs pour 11 % (+5) et les personnes en études 3 % (-3).
Un mouvement des classes populaires : les « gilets jaunes » sont majoritairement des ouvriers [4] (26 % sont des ouvriers, +9 par rapport au poids des ouvriers dans la société française), des employés [5] (21 %, +4) et des retraités CSP- (17 %, =), qui vivent dans les communes rurales (28 %, +5) et les petites villes de 2 000 à 20 000 habitants (21 %, +3), mais aussi dans les villes de plus de 100 000 habitants (26 %, -3). A l’image de la société française, les « gilets jaunes » vivent à la fois en banlieue (32 %, -4), en ville centre (30 %, -4), dans des zones rurales (27 %, +4) et sont peu présents dans les villes isolées (10 %, +2). 50 % des « gilets jaunes » ont un niveau de diplôme inférieur au baccalauréat, 28 % ont un niveau de diplôme égal au baccalauréat, et 22 % ont un diplôme de l’enseignement supérieur, ces proportions sont respectivement de 54 %, 16 % et 30 % dans l’ensemble de la population en 2017 [6].
La composition familiale des « gilets jaunes » est très proche de celle de l’ensemble de l’échantillon interrogé : 35 % (-1) vivent en couple sans enfant, 29 % (+1) en couple avec enfant, 22 % (-1) seuls sans enfant, 9 % (+3) seuls avec enfant, 5 % (-1) chez leur parents et 1 % (=) en colocation. La seule sous-catégorie qui est significativement surreprésentée au sein des « gilets jaunes » est celle des femmes vivant seules avec enfants : elles représentent 12% au sein des « gilets jaunes » alors qu’elles ne représentent que 6% de l’échantillon de Français interrogés.
Par contre, la situation économique des « gilets jaunes » est significativement moins bonne que la moyenne. Leur niveau de vie est de 1 486€ par mois contre 1 777€ en moyenne pour l’échantillon de Français interrogés [7].
Géographiquement, les « gilets jaunes » sont présents sur l’ensemble du territoire national mais la fourchette des Français qui se disent « gilets jaunes » varie entre 28 % en Occitanie ou 27 % en Bourgogne-Franche-Comté et 17 % en Ile-de-France. Si on se focalise sur les anciennes régions administratives, on constate que les « gilets jaunes » sont surreprésentés le long des territoires que le géographe Roger Brunet appelait « la diagonale du vide », s’étendant des Ardennes aux Hautes-Pyrénées : Champagne-Ardenne (+7 points par rapport à la moyenne nationale de « gilets jaunes » [8]), Bourgogne (+5), Franche-Comté (+6), Auvergne (+2), Limousin (+4), Languedoc-Roussillon (+5) et Midi-Pyrénées (+6) [9]. A ces territoires, il faut ajouter aussi une surreprésentation des « gilets jaunes » en Haute-Normandie (+4).
Crise du pouvoir d’achat et sentiment de déclassement social
Dans le Baromètre des Territoires, les Français font le récit d’une vie privée heureuse, mais d’un pouvoir d’achat sous pression et d’un sentiment désormais majoritaire de vivre dans une société produisant relégation et exclusion. Malgré ces tensions, leur espace personnel agit comme un bouclier protecteur face aux difficultés économiques et sociales.
– Chez les « gilets jaunes », la vie privée est moins à même d’offrir ce sentiment de protection : ils sont moins nombreux que la moyenne des Français à se déclarer heureux (64 % contre 73 %) et à partager le sentiment d’avoir choisi la vie qu’ils mènent (50 % contre 60 %), ils sont plus nombreux (60 % + 6) à avoir une vie sociale réduite ou nulle et ils sont moins nombreux à avoir le sentiment de pouvoir compter sur quelqu’un de leur entourage en cas de problèmes graves (69 %, -5).
Cette tension est d’autant plus forte que les « gilets jaunes » vivent de manière quasi-permanente une véritable crise du pouvoir d’achat :
– 65 % des « gilets jaunes » ont des fins de mois difficiles (+17 points par rapport à la moyenne des Français) ;
– 69 % ont retardé ou renoncé à des soins de santé lors des douze derniers mois (+18) ;
– 51 % ont été à découvert régulièrement lors des douze derniers mois (+13) et ceux qui le sont le sont en moyenne le 17 du mois ;
– 55 % ont le sentiment que leur situation financière s’est dégradée lors des douze derniers mois (+12).
Par ailleurs, la moitié des « gilets jaunes » cherche systématiquement les prix les plus bas lors de ses courses alimentaires et les deux tiers lors de l’achat de vêtements et de chaussures, ce qui est dans les deux cas fortement supérieur à la moyenne des Français (+15 points). Un peu plus d’un tiers des « gilets jaunes » a régulièrement du mal à payer ses factures d’électricité (+15), son loyer ou prêt immobilier (+13), et ses impôts et taxes (+14). Mais la crise du pouvoir d’achat chez les « gilets jaunes » s’exprime encore plus vigoureusement sur la question des frais de transports et du carburant : la moitié d’entre eux a régulièrement du mal à payer ses frais de transports alors que cela n’est le cas que pour un quart des Français. Ceci confirme la place centrale qu’occupe l’utilisation de véhicules motorisés (voiture, moto, scooter) pour les « gilets jaunes » : les trois quarts les utilisent tous les jours (75 %, +9), et presque la moitié plusieurs fois par jour (46 %, +9). Le pouvoir d’achat est de loin le sujet qui les préoccupe le plus (50 %, +10), devant les retraites (30 %, +4), l’emploi (28 %, +3) et l’immigration (27 %, +4).
Cette croissante fragilité économique nourrit un sentiment presque unanime au sein des « gilets jaunes » de vivre dans une société injuste (87 %, +9) et renforce l’idée selon laquelle la réussite sociale est jouée d’avance (68 %, +5). Ils expriment un profond sentiment de déclassement : 69 % (+17) estiment que leurs parents vivaient mieux qu’eux au même âge. Cette violence sociale ressentie affaiblit le consentement à l’impôt : la moitié des « gilets jaunes » considère que les impôts et les taxes qu’elle paye sont inutiles (51 %, +16). Leur colère sociale se perçoit aussi dans les sujets qui indignent le plus les « gilets jaunes », qui ne sont que des sujets économiques et sociaux : écarts entre hauts et bas salaires (46 %, +8) et inégalités sociales (35 %, +5), mais aussi fraude fiscale (26 %, +1), précarité de l’emploi (26 %, +4), corruption (25 %, +5) et fraude aux aides sociales (24 %, -3). On observe que seulement 7 % (-1) des « gilets jaunes » s’indignent des inégalités territoriales, preuve de la prédominance des fractures sociales sur les fractures territoriales dans la colère exprimée.
Cette pression économique nourrit non seulement un sentiment d’injustice, mais aussi une défiance très prononcée vis-à-vis des acteurs politiques et institutionnels. Le seul acteur en qui presque une majorité des « gilets jaunes » a confiance est les gens qui vivent autour de soi (47 %). Ce résultat est révélateur d’une crise généralisée de la confiance envers les acteurs de la démocratie représentative et sociale. Le président de la République et les partis politiques sont les principaux réceptacles de cette défiance : respectivement 80 % et 75 % des « gilets jaunes » ne leur font pas confiance. Si pour les partis politiques ce niveau de défiance est proche de celui exprimé par l’ensemble des Français qui est de 69 %, pour le président de la République celui-ci est beaucoup plus marqué chez les « gilets jaunes » (+20 points). Les autres acteurs institutionnels, comme les présidents de région et de département et le député de sa circonscription, ne sont pas rejetés aussi massivement, mais peinent à être perçus comme des acteurs de confiance : la moitié des « gilets jaunes » ne leur fait pas confiance, un tiers est indifférent et seulement un « gilet jaune » sur 6 déclare leur faire confiance. Les seuls acteurs institutionnels, mais aussi de la société civile, en qui une majorité relative de « gilets jaunes » a confiance sont les acteurs de proximité et du quotidien que sont le maire de sa commune (38 %) et les associations (37 %).
De la même manière, les « gilets jaunes » considèrent que ce sont les acteurs de la société civile et de proximité, comme les entreprises (54 %, -8), le maire de sa commune (48 %, -6) et les associations (46 %, -3), qui ont le plus le pouvoir de faire évoluer le monde dans lequel on vit. La principale différence entre les réponses des « gilets jaunes » et de l’ensemble des Français sur cette question est le pouvoir imputé au Président de la République : pour les premiers un tiers d’entre eux estime qu’il a le pouvoir de faire évoluer les choses (36 %) alors que pour les seconds la moitié le pense (50 %). Ainsi, non seulement les « gilets jaunes » n’ont pas confiance dans le président de la République actuel, mais ils lui font aussi un procès en incapacité à agir sur le réel et le quotidien des Français.
Ce tableau, combinant crise du pouvoir d’achat, sentiment d’injustice et défiance diffuse vis-à-vis des acteurs de la société, aboutit à un pessimisme prononcé. Une majorité de « gilets jaunes » est pessimiste au sujet de leur avenir personnel (58 %, +14) et de celui de leurs enfants (57 % pensent que quand ils auront leur âge leurs enfants vivront moins bien qu’eux, +11), et presque unanimement au sujet de l’avenir de la société française (83 %, +8).
Un rapport au territoire qui aggrave la crise sociale
Dans l’étude « La France en morceaux », le Baromètre des Territoires a identifié quatre catégories de Français en fonction de leur rapport au territoire et aux mobilités (sociales, personnelles et géographiques).
– Les « Français affranchis » (21 % de la population) ont peu d’attaches territoriales et réalisent leur projet de vie sans entrave grâce à des moyens économiques et socioculturels qui leur permettent de s’affranchir des contraintes territoriales.
– Les « Français enracinés » (22 % de la population) sont profondément attachés à leur territoire, heureux de vivre là où ils ont choisi de vivre, leur bulle personnelle est un bouclier qui les protège de la violence sociale, sans pour autant la masquer. Ces Français goûtent au bonheur de « vivre au pays » et n’aspirent pas à la mobilité.
– Les « Français assignés » (25 % de la population) sont assignés à leur territoire et subissent de plein fouet la crise du pouvoir d’achat, les inégalités sociales et territoriales. Ils sont bloqués géographiquement et socialement et font le récit d’un lent déclin personnel et social qui n’en finit plus.
– Les « Français sur le fil » (32 % de la population) vivent une forte tension entre leur aspiration à la mobilité sociale et territoriale et une difficulté à s’affranchir de leur situation socioéconomique et des inégalités territoriales.
Les « gilets jaunes » sont très largement des « Assignés » (39 %, +14) et des « Sur le fil » (29 %, -2), c’est-à-dire que 7 « gilets jaunes » sur 10 ont l’impression de subir leurs conditions de vie (situation professionnelle, lieu de vie, etc.). Comme nous l’avons déjà souligné, ils ressentent très durement la crise du pouvoir d’achat à laquelle s’ajoute donc l’impression de subir également les inégalités territoriales :
– Seulement 39% (-11) des « gilets jaunes » déclarent avoir un accès facile et rapide à une série de huit services (formation, culture, divertissement, soins, transports, information, courses et administration) ;
– La moitié des « gilets jaunes » (49%, +10) a le sentiment que les services publics disparaissent là où elle vit ;
– 69% (+11) estiment qu’il est de plus en plus difficile de trouver un emploi là où ils vivent ;
– La moitié se sent « coincée » là où elle vit (49%, +5).
Ceci ne signifie pas que les « gilets jaunes » ne sont présents que dans les territoires en difficulté. Au regard de la typologie des territoires de vie de l’Insee qui classifie les territoires en fonction d’indicateurs objectifs d’accès aux services et de qualité de vie sur un territoire [10], qu’ils soient qualifiés de « plutôt favorisés », « plutôt aisés », « peu favorables », « en situation intermédiaire » ou « isolés », la proportion de personnes se sentant « gilets jaunes » varie entre 17 % et 28 %. Cette présence des « gilets jaunes » sur l’ensemble des territoires de vie confirme que l’émergence de ce mouvement social ne s’enracine pas dans les inégalités territoriales, mais bien dans la crise sociale qui traverse de larges pans de la société.
Par ailleurs, ce sentiment d’être assignés à son lieu de vie et de subir les inégalités territoriales ne signifie pas que les « gilets jaunes » ne sont pas attachés à leur territoire. Ils sont globalement tout aussi attachés à celui-ci que la moyenne des Français (45 % sont attachés au lieu où ils vivent (-1), 50 % à leur ville (-2), 56 % à leur département (+7), et 59 % à leur région(=). En revanche, ils sont plus pessimistes sur l’avenir de leur territoire que la moyenne des Français : 56 % sont pessimistes pour l’avenir du lieu où ils habitent (+12) et 62 % en l’avenir de leur région (+13).
Enfin, si les « gilets jaunes » sont principalement des « Français assignés » et des « Français sur le fil », une proportion non négligeable d’entre eux sont des « Français enracinés » (18 %, -4) et des « Français affranchis » (14 %, -8). La présence de « gilets jaunes » parmi des catégories de la population qui ont le plus fort capital socioéconomique et culturel et qui sont les plus heureuses peut surprendre, mais elle explique bien le caractère diffus de l’inquiétude sociale dans le pays : 78 % des Français jugent la société actuelle injuste (dont 28 % très injuste).
Politisation des « gilets jaunes » et scrutin européen
La forte défiance des « gilets jaunes » vis-à-vis des acteurs institutionnels les conduit logiquement à être une majorité à déclarer n’avoir de préférence partisane pour aucun parti (33 %) ou à se dire proches de partis politiques protestataires, notamment le Rassemblement National (19 %) et dans une moindre mesure La France insoumise (10 %). Lors du 1er tour de l’élection présidentielle de 2017, 29 % des « gilets jaunes » ont voté pour Marine Le Pen, 27 % se sont abstenus, ont voté blanc ou n’étaient pas inscrits sur les listes électorales, et 17 % ont voté pour Jean-Luc Mélenchon. Lors du 2nd tour, 44% des « gilets jaunes » se sont abstenus, ont voté blanc ou n’étaient pas inscrits sur les listes électorales, 34% ont voté pour Marine Le Pen, et 22% pour Emmanuel Macron.
La mobilisation de franges de la population traditionnellement absentes de la contestation sociale, et leur politisation depuis le début du mouvement social pourraient, si elle se confirmait, peser sur les résultats des élections européennes de mai 2019. Dans ce contexte, il est important de noter que 61% des « gilets jaunes » considèrent que l’appartenance de la France à l’Union européenne induit plus d’inconvénients que d’avantages (+18 par rapport à la moyenne des Français). Ils sont aussi plus de 6 sur 10 à considérer que l’Union européenne ne maîtrise pas les flux migratoires et ne les protège pas des effets négatifs de la mondialisation. Bien que l’Union européenne ne soit pas (encore ?) au cœur des revendications du mouvement social des « gilets jaunes », celle-ci pourrait devenir la cible de leur colère sociale dans les urnes.
En conclusion, les données du Baromètre des Territoires révèlent que les opinions des « gilets jaunes » ne sont ni « atypiques », ni spécifiques par rapport au regard qu’une majorité de Français porte aujourd’hui sur notre société, ses injustices et son incapacité à garantir la promesse républicaine d’égalité et d’ascenseur social.
Ils font cependant partie des Français qui vivent le plus violemment la crise du pouvoir d’achat et expriment avec le plus d’intensité le sentiment d’injustice. Ce double phénomène percute de plein fouet leur vie quotidienne et dégrade ce bonheur personnel qui résiste à la crise chez une majorité de nos concitoyens.
Si la France est en morceaux, ces quatre segments (Affranchis, Enracinés, Assignés, et Sur le fil) ne sont pas des vases hermétiquement clos. Le Baromètre des territoires permet de confirmer que les « gilets jaunes » ne sont que la partie la plus visible d’une souffrance sociale qui traverse désormais de larges pans de notre société et mine à la fois la confiance dans l’avenir et dans l’efficacité du système politique.