Chronique parue dans Stratégies le 19 mai 2021.
La campagne ne vient que commencer et déjà les punchlines tournent en boucle sur nos écrans. Émissions après émissions, des matinales aux grands formats du week-end, dans chaque camp les mêmes mots, les mêmes phrases. Bref, les mêmes « EDL », ces fameux éléments de langage qui se sont multipliés dans tous les cercles ces dernières années et sont devenus un passage obligé de la prise de parole. Les EDL, eux, n’ont pas eu besoin d’être déconfinés.
On peut comprendre bien sûr la volonté d’impact des spin doctors. On peut admettre également qu’un même responsable politique ne fasse pas évoluer son message quand il fait deux émissions semblables dans la même journée. Dans l’entreprise aussi, les EDL se sont installés et chaque agence corporate ou d’influence doit être en mesure d’apporter à ses clients cet outil indispensable parce qu’il fixe un socle commun de discours partagé, parce qu’il rassemble et mobilise arguments et preuves. Mais dans tous les cas, dans la sphère politique comme économique, à force d’EDL remâchés, rabâchés, leur impact s’émousse, et se retourne finalement contre leurs auteurs ou plutôt contre leurs émetteurs. En fait, trop d’EDL tue les EDL. Pourquoi ?
D’abord parce que l’adage avec lequel nous avons grandi, « la communication c’est la répétition », a pris quelques rides et quelques nuances. Face à la fragmentation des audiences, à la polarisation des opinions, le message comme la publicité a plus besoin aujourd’hui que jamais de ciblage. Et si c’est une évidence de dire que le public d’une matinale de BFM n’est pas le même que celui d’Inter à la même heure, l’adaptation des EDL à la cible, à ses attentes spécifiques, n’est pas toujours la priorité de ceux qui dans l’ombre les préparent. Hiérarchisation différentes des arguments, choix des preuves qui parlent à ce public précis, style verbal et choix des mots adapté, l’EDL unique n’a pas beaucoup de sens au moment ou l’enjeu devient donc plus l’individualisation que la massification, et que le devoir de cohérence l’emporte sur l’exigence de répétition : comment s’assurer que face à des audiences différentes, avec des arguments différents, la trace laissée ne soit ni un long zig-zag, ni un travail de perroquet, mais une parole forte, impactante, qui touche sa cible et dessine au final un récit partagé.
Une défiance enracinée
Ensuite, parce que le citoyen surinformé, dont l’esprit critique est aiguisé par les émissions qui dévoilent les coulisses de la politique ou par le miroir grossissant des réseaux sociaux, décrypte la communication même sans en être un expert. Et le problème des EDL, c’est quand ils se devinent trop facilement, quand au début de la phrase prononcée vous avez déjà compris l’atterrissage. La communication est plus réussie quand elle ne se voit pas. Les EDL peuvent être un cadrage, ils ne doivent pas être un carcan. Pour chaque porte-parole, ils doivent être adaptés prenant en compte sa personnalité, son parcours en entreprise aussi, il n’est pas sur que les Q and A de 20 pages que tout le monde modifie mais que personne ne lit vraiment soient, sous cette forme, d’une grande efficacité.
Enfin parce que la défiance à l’égard de la parole publique s’est enracinée. Et qu’elle pointe aujourd’hui un défaut majeur : la sincérité, faite du sentiment de décalage entre la parole et les actes, entre les mots et le réel, les promesses et le concret. Cette phrase, est-ce vraiment ce qu’il pense ? Ces mots, sont-ils vraiment les siens ou son concurrent aurait-il pu utiliser les mêmes ? Derrière l’écran, ses choix, ses décisions en sont-ils la preuve ? Autorité, solidarité, responsabilité, durabilité, les mots se bousculent et deviennent parfois vides de sens quand ils n’ont pas été qualifiés. Impensable donc de construire des messages-clés sans avoir pu échanger au fond avec le dirigeant sinon l’exercice ne sera qu’artifice. Ministre, candidat, PDG, que voulez-vous vraiment dire au-delà des concepts et des mots-valises ? Quelle idée voulez vous défendre, quel combat voulez vous incarner ? Chaque EDL doit privilégier aujourd’hui la recherche d’authenticité du message et du langage. Plutôt que d’aligner les mots, il s’agit de les charger de sens, de faire un pas de côté, de surprendre, pour leur redonner de la force. Faute de quoi, nous pourrons écrire de magnifiques EDL, un jour personne ne les écoutera plus.
Bernard SANANES