LE CERCLE (tribune publiée par Bernard Sananès dans Les Echos le 26 septembre 2018)
Dix-huit mois après son élection, tous les voyants de l’impopularité sont au rouge pour Emmanuel Macron. Est-il victime de la même malédiction que ses prédécesseurs ? Pas si sûr. Il peut encore inverser le cours des choses.
L’histoire semble écrite. Emmanuel Macron, comme tous ses prédécesseurs depuis plus de vingt ans, va s’enfoncer durablement dans les sables mouvants d’une impopularité chronique.
Dix-huit mois après son élection, tous les voyants sont au rouge : 31 %* des Français seulement, son score le plus bas, continuent de lui faire confiance. Le taux des très hostiles atteint un sommet à 36 %. Les retraités, parmi ses plus forts soutiens, lui font désormais moins confiance que la moyenne des Français.
Chez les cadres, autre groupe favorable, le recul a atteint 16 points en six mois. A droite, après avoir séduit plus d’un électeur filloniste sur deux en mars, la baisse est de 12 points. Enfin, si le socle macroniste du 1er tour exprime toujours un fort soutien, celui-ci s’effrite depuis le printemps. Trois éléments structurants, étroitement liés, peuvent encore inverser cette courbe périlleuse.
Transformation et quête de sens
En premier lieu, la transformation, qui n’est pas seulement le pilier du macronisme, mais aussi la promesse qui, pendant un an, a séduit une partie de l’électorat de droite. Dès que cette promesse semble s’étioler, ce qui a été le cas entre avril et septembre, le socle réformateur (macroniste ou filloniste) s’affaiblit où se détourne.
Même si la séquence de rentrée de l’exécutif a été ratée sous l’effet de la démission de Nicolas Hulot, des couacs, de l’affaire Benalla, la reprise du rythme des réformes peut lui redonner un peu d’oxygène. Les grands plans annoncés sur le front de la pauvreté ou de la santé permettent d’aborder des sujets qui concernent chacun et envoient des signaux à l’électorat du second tour. La réforme de l’apprentissage peut devenir une vraie réforme consensuelle. Tout comme celle de l’assurance-chômage, qui apparaît moins comme un totem dans l’opinion que celle du Code du travail *, peut ressouder ce socle réformateur.
Mais, de manière surprenante, la réforme de la SNCF a révélé en creux que la transformation vécue comme un trophée ne pouvait pas suffire à répondre à la question « pour moi, Macron ça change quoi ? ». C’est pour cela que la volonté réformatrice ne peut plus à elle seule servir d’étendard. Car enfermé dans l’image du président des riches, dans l’incapacité de prouver à date que l’objectif du libérer-protéger est atteignable, la question du sens de la transformation restera posée pendant tout le quinquennat.
Résultats et gouvernance
Deuxième élément de reconquête possible : les résultats. Octobre s’annonce comme un premier rendez-vous essentiel de ce point de vue. Si l’impact de la suppression de la taxe d’habitation et de la baisse des cotisations sociales sur le salaire net est perçu comme réel, l’exécutif pourrait revendiquer à la fois un engagement tenu et aussi un premier effet sur le quotidien des gens.
Enfin, troisième élément, la gouvernance. Aujourd’hui l’impatience de l’opinion est exacerbée par un sentiment d’arrogance. Parce que la séquence « je traverse la rue, je vous trouve un emploi » ne traduit pas seulement un manque d’empathie caractérisé, mais se heurte au ressenti d’une vie quotidienne perçue comme de plus en plus difficile. On s’étonne parfois de la rapidité et de la force du retournement de l’opinion autour d’Emmanuel Macron. C’est d’abord oublier la configuration électorale du premier et du second tour de 2017, l’absence d’élan du premier tour, et l’introuvable état de grâce. Mais c’est surtout sous-estimer la dimension personnelle de ce retournement.
Les Français observent un président qui leur avait promis l’efficacité et n’a pas encore « délivré ». Ils continuent d’apprécier son dynamisme et sa détermination mais le rappellent à un devoir d’écoute et de modestie. Ils sont surpris de voir que, après avoir incarné le « en même temps », le chef de l’Etat semble désormais porter en lui le clivage entre deux France. Surtout, ils ne sont pas mécontents de mettre à l’épreuve un président qui n’en a pas connu. Et nombreux sont ceux qui se posent une question : « il nous demande de changer, mais lui peut-il changer ? »
* Observatoire politique Elabe pour « Les Echos » et Radio Classique
* Question d’actualité Elabe pour « Les Echos », Radio Classique et l’Institut Montaigne
Bernard Sananès