Interview parue dans Le Figaro le 29 janvier 2020.
LE FIGARO. – Les électeurs ont souvent plébiscité les politiques qui portaient des projets de rupture. La France est-elle réfractaire à la réforme ?
Bernard SANANES – La promesse de changement est un « graal » dans toute élection présidentielle en France comme ailleurs. Dans notre pays, où l’on attend tout du président de la République, c’est un sentiment certainement plus fort. Cette promesse de changement vient se confronter assez vite à deux questions : « La réforme est-elle juste ? » ;« Est-elle efficace ? » Cette question de justice s’est posée assez rapidement avec Emmanuel Macron. Avec l’annonce de la réforme des APL et de l’ISF, sa politique a été jugée dès les premiers mois comme « injuste ». Pour Nicolas Sarkozy, la situation est un peu différente. Ses premières mesures sur la défiscalisation des heures supplémentaires et même l’abattement pour les droits de donations et les successions sont perçues comme « assez justes ». La rupture s’est plus faite sur son comportement, sa personnalité, que sur sa politique. Quant à François Hollande, le véritable marqueur de son début de mandat et de sa présidence, au final, est le « ras-le-bol fiscal ». Se sont ajoutés des doutes sur son leadership et l’absence de résultats malgré l’accumulation de mesures.
Au moment de lancer des réformes, les gouvernements en appellent souvent à la pédagogie. Cela a-t-il un sens en politique ?
C’est très important pour en faire partager les enjeux. On ne peut pas convaincre du bien-fondé d’une réforme si l’on n’a pas déjà convaincu de pourquoi il fallait la faire. Après, il y a la pédagogie de la solution proposée, pourquoi la réforme présentée est la bonne solution. Et enfin, la pédagogie des résultats. Sur ce point, l’exécutif n’a pas impacté l’opinion malgré les 17 milliards accordés aux « gilets jaunes » pour calmer leur colère.
Le gouvernement a-t-il gagné à l’usure sur les retraites ?
Le conflit n’est pas encore terminé. Mais s’il venait à s’arrêter, ce serait pour le gouvernement un demi-succès obtenu plus par lassitude que par conviction. Le rejet de la réforme a plutôt tendance à progresser dans l’opinion. Un conflit comme celui-ci peut laisser des traces durables. On est encore loin de l’élection présidentielle mais, dans la perspective d’un second tour entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, cela peut se traduire par une partie des électeurs venus de la gauche, ou peu politisés, qui n’irait pas faire barrage à la candidate du Rassemblement national. Leur choix pourrait devenir, au contraire, d’aller faire barrage à Emmanuel Macron.
Macron sort-il affaibli ou renforcé de la réforme des retraites ?
Il est trop tôt pour se prononcer. Toutefois, depuis la sortie de la crise des « gilets jaunes », avant l’été, on a le sentiment que le jugement de l’opinion sur l’image, la personnalité et l’action du président de la République est quelque part bloqué. Moins d’un tiers des Français seulement font confiance à Emmanuel Macron. Dans notre dernier sondage, l’image du président se dégrade fortement alors qu’en parallèle la difficulté à obtenir des résultats sème le doute y compris dans son socle électoral. C’est un sujet qui devient préoccupant pour l’exécutif. Que peut-il faire pour faire bouger les lignes ?
Emmanuel Macron peut-il réconcilier le pays, qui est à vif ?
Cela apparaît très compliqué. En septembre 2019, lors d’une enquête, il ressortait que Marine Le Pen avait une capacité de rassembler le pays de 12 points supérieure à celle du président de la République. L’enjeu du rassemblement est un élément clé quand on veut solliciter un deuxième mandat. Après des mois de fracture, on ne voit pas aujourd’hui sur quel projet il parviendrait à convaincre de sa capacité à fédérer le pays.
par Nicole Triouleyre