Tribune parue dans Les Echos le 1er avril 2020.
Qu’il s’agisse de nous-même, de nos collègues de bureau, des dirigeants politiques, des entreprises, des services publics, qui se sera montré à la hauteur de cette crise ? Et qui aura déçu ? A l’heure du bilan, celui-ci aussi comptera, écrit Bernard Sananès. Il permettra peut-être de construire un nouveau socle commun pour rebondir.
Quand ? Avec quel dramatique bilan ? Avec quelles conséquences humaines, sociales, économiques ? Quand sortirons-nous de cette crise brutale et soudaine ? Qui peut le dire ? Personne. Et si on peut poser des hypothèses sur l’après, bien devin celui qui peut dire avec certitude et aplomb ce que la crise aura changé dans nos vies, dans nos choix, dans nos économies, dans nos rapports à l’Etat et au vivre-ensemble ? A ce stade, au-delà des questionnements, je ne me risquerai pas à asséner des certitudes. Tant des nôtres se sont déjà évanouies.
Mais il y aura, forcément, un après. Et ce jour-là, avant de procéder aux indispensables retours sur expérience, avant de se laisser aller aux procès en responsabilité, nous nous retournerons vite sur ces semaines inenvisageables, avec une première question : pendant la crise, qui aura été là ? Pour certains, la réponse sera facile et unanime : l es soignants, fer de lance de la guerre sanitaire, tous les métiers essentiels à la vie de la nation qui auront rendu notre confinement supportabl e. Mais chacun pèsera sans doute, comme dans chaque épreuve que la vie nous fait traverser, les présents et les absents, les engagés et les distants, les profonds et les superficiels, les utiles et les autres. Dans nos entourages personnels, bien sûr, un peu comme dans ces moments entre deux jobs où l’on compte le nombre d’appels entrants… Chez nos partenaires, ces clients qui vous appelleront pour trouver des solutions communes, et ceux qui, de leur côté, par mail ou par téléphone vous auront fait part de leurs décisions dictées, « vous le comprendrez », par la crise… Chez nos collaborateurs aussi, où la responsabilité et la solidarité révèleront, j’en suis sûr, de fortes surprises et feront naître une cohésion renforcée.
Mais, plus largement, qu’en sera-t-il du rapport que nous entretenons avec les institutions dont nous sommes les citoyens-électeurs, et avec les entreprises dont nous sommes les clients-parties prenantes. Qui aura été là ? Ceux qui auront assuré parfaitement leur mission ? Ceux qui auront pleinement répondu aux besoins nés de la crise ? Evidemment, oui, mais cela sera-t-il suffisant ? Quel ministre, élu, responsable, aura fait plus que ce que l’on attendait de lui ? Quel responsable politique, par ses choix, se sera « élevé », et sortira « grandi de la crise » ?
De la même manière, quelle entreprise aura fait mieux qu’assurer son activité ? Quel dirigeant aura, quelle que soit la taille de son entreprise, fait la preuve de la force et de la justesse de son engagement interne et externe ? Quelle marque aura démontré dans l’action et pas dans la communication, par la preuve et pas juste par le maintien des budgets publicitaires, que ce qu’elle proclamait fièrement dans sa raison d’être n’était pas que des mots ? Qui, dans un moment économiquement difficile, se comportera comme un employeur juste, qui protégera ses fournisseurs, qui poursuivra, voire amplifiera les actions de solidarité ?
Utilité des entreprises
Plus que jamais, les politiques seront jugés à leurs actes plutôt qu’à leurs paroles, et ils peuvent soit renouer la confiance, soit porter la défiance à son paroxysme. Plus que jamais, la question de l’utilité des entreprises, de la sincérité de leur engagement, sera questionnée au filtre de la crise. Encore une fois, aucune certitude, mais une conviction : pendant le confinement, le regard permanent sur chaque acteur de la crise se fera toujours plus exigeant.
Et, quelle que soit la dureté de la crise, ceux qui auront répondu présent, auront renforcé dans l’épreuve le lien avec leurs administrés, leurs clients, leurs collaborateurs, leurs partenaires, avec la société. Quand le moment sera venu, pour remettre en mouvement la société, pour faire redémarrer les entreprises, pour regagner les parts de marché perdues, la force de ces liens sera incomparable aux liens d’avant. Parce qu’elle prendra appui sur un socle solide forgé par la crise, elle constituera un capital précieux que la crise n’aura pas emporté et elle fera émerger une différence essentielle entre ceux qui auront été là, pleinement, sincèrement… et les autres.
Bernard Sananes
Crédits image : mattthewafflecat / Pixabay