Transparence, un mot à utiliser avec prudence

Les définitions du mot transparence (du latin trans, “au-delà”, “à travers” et parere, “paraître”, “apparaître”, “se montrer”) expliquent son succès non démenti depuis la seconde moitié du XXème siècle : en ses sens figurés, la notion parvient en effet à exprimer tout à la fois la “qualité d’une institution ou entreprise qui informe complètement sur son fonctionnement et ses pratiques” et la “qualité de ce qui est facilement compréhensible, intelligible” .
Mais c’est peut-être la définition première du mot qui explique le succès du concept au sein du débat public. Cette ”propriété qu’a un corps, un milieu, de laisser passer les rayons lumineux, de laisser voir ce qui se trouve derrière” est devenue une qualité clef pour favoriser la lisibilité des comportements dans nos sociétés complexes. On comprend dès lors pourquoi les acteurs publics l’ont érigé en principe dans l’espoir d’enrayer la mécanique trop bien huilée de la méfiance à l’égard du politique et des grandes entreprises ; au risque “d’épuiser” la notion, et de lui enlever part de son sens et de sa portée…

Public et privé : un égal déficit perçu de transparence, mais des attentes divergentes

Ni le secteur public, ni le secteur privé ne sont réputés être exemplaires en matière de transparence, loin s’en faut : elle fait partie, dans nos enquêtes, des valeurs du service public les moins présentes dans l’avenir (à 5/10 sur une échelle de présence dans l’avenir) et demeure peu associée aux entreprises françaises (à 4,8/10 sur une échelle +/- ce mot correspond à l’image que vous avez des entreprises françaises) – même si les partisans des Républicains sont ici un peu moins sévères .

Les attentes adressées au secteur public et au secteur privé en la matière sont toutefois différentes :

  • dans le secteur public, l’attente de transparence concerne avant tout les structures, les processus décisionnels (en particulier l’attribution des marchés publics et le processus de réforme ) et la probité des hommes,
  • dans le secteur privé, l’attente de transparence concerne avant tout la qualité des produits et services ainsi que les modalités de fixation des prix à la vente.

Une valeur toujours plébiscitée, mais en perte de vitesse

Si elle est toujours très bien perçue, la notion de transparence apparaît toutefois en perte de vitesse, affectée par son suremploi et ses usages parfois abusifs, dénués de portée concrète : notée 7,6/10 en mars 2010 sur une échelle de ressenti positif/négatif elle est depuis descendue, progressivement, à 7/10.

Plusieurs populations se montrent par ailleurs davantage méfiantes à son égard :

  • les 18-29 ans (6,7/10) qui, comme nous le constatons souvent dans nos études, se montrent plus réticents vis-à-vis des “grands principes” car sceptiques, voire méfiants, sur la capacité et la volonté des acteurs à les concrétiser,
  • les ouvriers (6,7/10) et les employés (6,6/10) – alors que la valeur demeure célébrée par les artisans (7,6/10) et les cadres (7,4/10),
  • les partisans du Front national (6,6/10) – a contrario, les partisans du Modem (7,8/10) et du Front de gauche (7,5/10) lui accordent ses meilleurs résultats.

le_mot_transparence

Une mise en œuvre attendue mais une notion à utiliser avec précaution

Si elle demeure un fil rouge des attentes citoyennes et une valeur phare et incontournable, le mot transparence est pourtant d’un usage délicat tant il peut donner l’impression de sur-promettre ou sembler purement “cosmétique”.

Ainsi, lorsqu’elle est proclamée dans un domaine qui suscite de la méfiance a priori, la transparence ne fait souvent qu’aggraver la suspicion : ce fut le cas, par exemple, pour la loi sur la transparence de la vie publique (6,3/10 sur un axe de ressenti positif/négatif), valorisée dans son contenu davantage que dans sa dénomination.

De même, l’ouverture “en grand” des données, notamment via les possibilités offertes par le numérique, n’est pas considérée en soi comme un gage de transparence, au contraire : elle peut donner l’impression de vouloir “noyer le poisson” et/ou de rompre des “secrets légitimes”. Ainsi, les lanceurs d’alertes ne bénéficient pas d’un soutien populaire inconditionnel (à titre d’exemple, les révélations d’Edward Snowden sur PRISM étaient, en 2013, perçues plutôt négativement ) et l’Open data, bien qu’abordé plutôt favorablement, ne fait toujours pas partie des attentes prioritaires adressées aux institutions et n’est pas considéré, en soi, comme une garantie de transparence.

La notion doit donc être utilisée dans le discours avec prudence, dans une optique modeste. Plutôt qu’un principe normatif, les Français sont en attente d’effets et mobilisée à bon escient, la transparence est un formidable levier d’engagement citoyen. A contrario, la claironner ne fait bien souvent qu’éveiller la suspicion, et appauvrit la portée du concept.

Télécharger ici : Transparence