Ce n’est pas une formule de précaution. Il faut, à 6 mois du scrutin, prendre les sondages municipales pour ce qu’ils sont : une indication d’un rapport de forces et non un pronostic sur le résultat de mars.
Pourquoi : d’abord parce que localement les campagnes commencent à peine. Les candidats construisent encore leurs programmes, n’ont pas encore dévoilé leurs équipes et, pour ceux qui ne sont pas sortants, cherchent d’abord à améliorer leur notoriété.
Ensuite parce que plus on avancera vers le scrutin, plus les motivations nationales se renforceront. Et personne ne peut dire aujourd’hui quel sera le climat politique national dans 6 mois
Mais une tendance (à confirmer) se dégage dans les grandes villes : la poussée écologiste souvent mesurée à des scores plus élevés qu’aux européennes. Après Marseille (ELABE), Montpellier (BVA), c’est le sondage réalisé par ELABE pour La Tribune à Bordeaux qui a fait couler beaucoup d’encre cette semaine. Il confirme que dans plusieurs grandes villes (notamment quand le sortant n’est pas de gauche), les écologistes apparaissent comme la force qui peut rassembler l’espace politique de la gauche. Mais il nous donne surtout l’ampleur des difficultés qui s’annoncent pour En Marche.
Analysé depuis plusieurs semaines, on aurait tort de réduire le problème d’En Marche à la seule question de l’implantation et de la mauvaise notoriété des candidats.
En effet, à Bordeaux, le candidat écologiste Pierre Hurmic, conseiller municipal, est sensiblement aussi peu connu par les habitants que le candidat d’En Marche Thomas Cazenave. 7% des Bordelais le connaissent très bien contre 5 % pour le candidat macroniste, mais ils sont moins de 3 sur 10 (29%) à ne le connaitre que de nom, contre 48 % pour Cazenave. Même faiblesse en termes d’image pour les deux challengers du maire sortant, 19 % des Bordelais ont une bonne image de Cazenave contre 12 % de Hurmic.
Ce n’est donc pas sur ce critère que se joue le match. La notoriété et l’image ne peuvent pas être retenus comme caractère différenciant entre ces deux candidats.
Pourtant, quand on regarde les intentions de vote, le candidat écologiste oscille (en fonction de l’hypothèse d’une alliance ou pas avec le PS) entre 24.5 et 30.5 % des voix quand le candidat LREM reste loin derrière entre 11.5 et 13 %, alors que Bordeaux a pourtant donné 30 % des voix à Emmanuel Macron aux présidentielles et aux européennes.
Au-delà des spécificités girondines et de la succession d’Alain Juppé, que faut-il en retenir ? A date, une partie de l’électorat veut donner une signification claire à son vote : manifester sa préoccupation environnementale (première priorité des bordelais). A l’inverse, la question qui se pose au parti présidentiel, c’est qu’il peine à donner du sens au vote en sa faveur. Aux présidentielles, le vote Macron signifiait le renouvellement, la promesse d’une autre façon de faire de la politique et le vote anti-Le Pen. Aux européennes, le vote Loiseau-Macron mobilisait sur l’attachement à la construction européenne et toujours sur la volonté d’empêcher un triomphe de Marine le Pen au soir du scrutin. Aux municipales, l’histoire n’est pas la même. Pourquoi voter LREM ? Quel argument peut mobiliser des électeurs partagés entre satisfaction du sortant et aspiration écologiste ? Au-delà de leur faible implantation, les candidats LREM partent donc avec un autre handicap : quelle « promesse » peuvent-ils porter dans le débat local ? Celle de donner une implantation au parti du Président ? Pas sûr que dans le contexte d’impopularité du chef de l’Etat et compte-tenu de la dimension en partie locale du scrutin cela mobilise. Celle de porter dans les mairies un macronisme municipal plus participatif, plus écolo, mais le créneau sociologiquement porteur est déjà préempté par les écologistes. Celle de porter une approche moins partisane, mais le débat local ne reproduit pas les affrontements partisans nationaux. Celle de s’opposer au FN, mais dans les villes de + de 100.000 habitants (contrairement aux petites et moyennes), le FN pourra difficilement s’imposer (à l’exception de Perpignan).
Pour les écologistes (qui devront affronter d’autres difficultés on y reviendra), le problème ne se pose pas : le sens du vote est clair. Voilà pourquoi à Bordeaux entre deux candidats méconnus des électeurs, et qui veulent tous deux incarner une alternative au maire sortant, la différence entre les intentions de vote est aujourd’hui aussi forte.
Bernard SANANES