Bernard Sananès : «Le vrai risque, pour Macron, c’est celui de la banalisation»

Interview de Bernard Sananès, président du cabinet Elabe, publiée dans Le Figaro du 22 août 2018. Par Tristan Quinault-Maupoil.

 

LE FIGARO. – Dans quel contexte Emmanuel Macron entame-t-il cette rentrée?

Bernard SANANÈS. – Le président va devoir affronter plus de vents contraires que lors de la première année du quinquennat. D’abord parce que persiste le sentiment que l’économie française ne s’améliore pas de manière tangible aux yeux de l’opinion, quand bien même elle ne se dégrade plus. Ensuite, sur la question européenne – un marqueur de son discours -, on constate que les avancées sont très difficiles à obtenir. Enfin, parce que Emmanuel Macron doit faire face à une polarisation plus forte de l’opinion. 33 % des Français ne lui font pas du tout confiance, c’est un record depuis son élection. Dans le même temps, on observe des pertes à droite et une légère érosion dans son électorat de premier tour. On verra dans les prochaines semaines si son socle tient ou s’il prend véritablement ses distances.

Après l’euphorie de 2017, c’est le moment de vérité?

Pour l’instant, la majorité n’est pas en mesure de présenter des résultats en étendard. Le vrai risque, pour Emmanuel Macron, c’est celui de la banalisation et le refrain «il est comme les autres» tant en ce qui concerne sa capacité à obtenir des résultats que dans sa manière de gouverner, écho à l’affaire Benalla.

Pour y parvenir, peut-il encore compter sur une efficace machine à réformer?

Pour le chef de l’Etat, l’enjeu majeur de cette rentrée est de montrer qu’il peut encore réformer rapidement et en profondeur. S’il y parvient, ce sera l’antidote pour contrer l’impopularité naissante et l’affaire Benalla. Car il existe un socle réformateur, pour lequel le plus important est la capacité d’Emmanuel Macron à mener à bien les réformes qui n’ont pas été faites dans le passé, malgré les critiques sur sa posture personnelle et la dérive autoritariste.

Mais l’alignement des planètes ne semble plus d’actualité, comme l’atteste la croissance plus faible que prévu…

C’est bien sûr la mauvaise nouvelle de l’été pour l’exécutif. Elle peut faire douter sur l’efficacité du cap retenu. L’emploi et le pouvoir d’achat restent au cœur des attentes. Sur ce dernier point, le rendez-vous important sera celui de la suppression de la taxe d’habitation, cet automne. Pendant la campagne électorale, il s’agissait de sa seule vraie promesse économique. Elle a servi à faire basculer une partie des classes moyennes en sa faveur. Si cet engagement apparaît comme vraiment tenu, il pourra servir de marqueur.

Le contexte économique risque de bousculer l’objectif d’un déficit public maîtrisé à 2,3 % du PIB. Cette question va-t-elle faire apparaître un clivage au sein de la majorité?

L’objectif politique pour Emmanuel Macron, c’est encore de diviser la droite, qui est justement très sensible au respect des deniers publics et à l’équilibre des comptes. On sait que c’est l’ancien électorat de François Fillon qui est le plus attaché à la question de la réduction de la dette. C’est sans doute de ce côté-là que l’exécutif voudra donner des signes.

La réforme des retraites sera-t-elle le moment chaud de l’année à venir?

Évidemment, parce que les retraites, cela concerne chacun. Est-ce que le principe d’équité mis en avant lors de la campagne va être perçu comme un principe juste ou comme une manière de faire perdre tout le monde? Cela dépendra beaucoup de la manière dont le gouvernement va communiquer sur le sujet. Il lui faudra trouver une personnalité capable d’incarner un discours social. Pour l’heure, il n’y en a pas et Emmanuel Macron garde l’image du président des riches.

Quid de la réforme constitutionnelle, dont l’examen est à l’arrêt à cause de l’affaire Benalla? A-t-elle encore un avenir?

L’équation politique apparaît complexe. En revanche, sur ce sujet, l’exécutif peut prendre appui sur l’opinion. Le refus de réduire le nombre d’élus peut revenir en boomerang contre l’opposition. Malgré l’affaire Benalla, il s’agit encore d’une mesure emblématique qui a le soutien de près de neuf Français sur dix. Même si, bien sûr, la voie référendaire est risquée.

 

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