Brut, Vice, MinuteBuzz… De nouveaux médias au modèle incertain

Toujours sur la brèche pour créer le buzz, surfant sur l’actualité avec un goût prononcé pour les contenus chocs et exclusifs, cette nouvelle génération de médias est plébiscitée par la cible que s’arrachent les marques : les millennials.

Vice, le pionnier

En 1994, une bande d’étudiants canadiens met sur pied un fanzine gratuit en ligne. Vice est né. C’est le véritable point de départ de cette nouvelle génération de médias, mais surtout d’une révolution dans la façon de traiter l’information. Deux décennies plus tard, Vice est un groupe de presse actif dans 30 pays et qui se déploie dans trois formats : papier, digital et TV. Valorisé 5,8 milliards de dollars, le groupe emploie plus de 3 000 personnes.

Une logique de contenus plutôt que de canaux

Il aura fallu attendre plus de dix ans pour observer en France la première déclinaison de ce nouveau concept médias. Konbini et Melty voient le jour en 2008 ; MinuteBuzz est lancé en 2010. Il s’agit au départ de sites web « classiques », mais ils basculent rapidement vers les réseaux sociaux. Cette rupture repose sur une conviction simple : l’audience doit être touchée là où elle se trouve. Et une étude très remarquée sur les millenials, publiée en 2015 par le cabinet d’audit et de conseil Deloitte, démontre que 60 % d’entre eux passent par les réseaux sociaux pour s’informer.

Face à la force de frappe et à l’omniprésence des plateformes sociales, continuer à générer du trafic vers un site d’information semble donc un combat perdu d’avance. Les canaux médiatiques classiques sont alors désertés aux profits de Facebook, Instagram, YouTube et Twitter. Aussitôt publié, le contenu est liké, partagé et apparaît sur le fil d’actualité des « amis » et des followers.

Ce modèle « 100% réseaux sociaux » attire de nouveaux acteurs. En novembre 2016, Konbini et MinuteBuzz sont rejoints par Brut, co-fondé par Guillaume Lacroix et l’ancien producteur de Canal+ Renaud Le Van Kim. En janvier 2017, c’est Explicite qui voit le jour, à l’initiative d’anciens journalistes d’iTélé. Il existe aujourd’hui une demi-douzaine de plateformes, portées par des groupes audiovisuels (TF1 est désormais majoritaire au sein de MinuteBuzz) mais aussi par des entrepreneurs (Franck Papazian et Bernard Mourad ont investi dans Loopsider).

Que diffusent ces nouvelles plateformes ? Elles privilégient les formats appréciés des millennials : peu de textes, beaucoup d’images et de vidéos – le format star étant la vidéo courte, au montage serré, commentée et/ou surtitrée. Pour attirer l’œil et générer du clic, ces nouveaux médias adoptent une ligne éditoriale différenciante, qui rappelle parfois « l’esprit Canal » (de Philippe Gildas à Yann Barthès). Vice privilégie la culture pop, l’actualité sportive et des focus sur l’international, avec deux mots d’ordre : traitement décalé et ton direct. De son côté, Loopsider met l’accent sur le décryptage des grands enjeux de la planète : l’environnement, la science, les technologies, la géopolitique, les solidarités, l’égalité des droits… Une actualité qu’on voit peu dans les médias traditionnels.

Un modèle économique encore à inventer

La création de contenus, majoritairement vidéo, à un rythme élevé, engendre des frais de production importants. Le modèle économique des nouvelles plateformes repose souvent sur une réduction drastique des coûts (notamment au travers du recours massif à des pigistes et à des autoentrepreneurs payés « à la performance ») ; et sur des recettes provenant de la publicité. La rémunération se fait souvent au nombre de clics, ce qui incite à créer des contenus choc, des « appâts à clics » sans aucun filtre journalistique – un reproche régulièrement adressé à Melty, notamment.

Konbini et MinuteBuzz ont pour leur part recours au native advertising, la création de contenus sur mesure pour les marques (c’est à dire a version digitale des antiques publirédactionnels !). Cette double casquette, média et agence de publicité, est parfaitement assumée. En août 2017, Maxime Barbier (MinuteBuzz), confiait lors d’un entretien au Monde diplomatique : « C’est un super business ! On est en train de prendre la place des annonceurs publicitaires. C’est comme si, à l’époque, TF1 avait dit à Danone : je fais ton spot publicitaire et en plus je te le diffuse ». Mais ce mélange des genres soulève de nombreuses questions : la dépendance aux annonceurs génère de l’autocensure, et la frontière entre information, communication et publicité pure et simple s’estompe peu à peu, ce qui dégrade la crédibilité (déjà questionnée) de ces plateformes. En pleine crise des fake news, considérer son audience comme un pure cible marketing plutôt que comme des citoyens à la recherche d’informations semble atteindre ses limites.

Mais comment se financer sans (trop) recourir à la publicité ? A son lancement, Explicite a fait le choix d’une campagne de crowdfunding ; et ses fondateurs hésitent à présent à instaurer des abonnements payants. De son côté, Brut a noué un partenariat avec la FranceInfo, le site du second diffusant désormais les vidéos produites par le premier. Ce partenariat comprend en parallèle une offre de conseil aux grandes marques sur leur stratégie social media.

Nouveaux, ces médias le sont donc par leurs formats, leurs canaux de diffusion et leur ligne éditoriale. Mais le problème qu’ils rencontrent est aussi ancien que la presse : comment diffuser des contenus de qualité, en toute indépendance, et en générant des bénéfices ? Et ils ne semblent pas avoir (encore) trouvé la réponse.