Tribune parue dans Stratégies le 10 février 2020
Sur les pages de mes amis Facebook, eux n’ont pas choisi de passer la trêve des confiseurs sous un soleil exotique et ne profiteront pas des vacances de février sur les pentes enneigées. Eux n’ont pas beaucoup de temps pour faire du sport le dimanche matin, mais leurs week-ends ressemblent souvent à un marathon. Et plutôt qu’un jogging coupé du monde avec écouteurs, il s’agit plutôt pour eux d’arpenter les rues pour se faire engueuler. Le barbecue entre voisins pourquoi pas, mais ce sont les querelles de voisinage qui sont leur lot quotidien. Ils aimeraient aussi le samedi soir fréquenter spectacles et concerts, mais ils enchaînent plutôt tout au long de l’année de délicieuses chorales de quartier et de très mignons spectacles des écoles. Ils apprécieraient sans doute plus de diners en amoureux, mais le buffet du bal des pompiers c’est bien aussi. Ils gouteraient volontiers intensément aux délices du repos dominical en famille, mais à 17h personne ne comprendrait qu’ils ne soient pas là pour remettre la coupe au vainqueur du tournoi de basket.
Comme 500 000 personnes dans notre pays, ils sont conseillers municipaux, adjoints, maires. Maires, ils exercent d’après les sondages le mandat d’élu le plus apprécié de nos concitoyens. Mais pourtant connaissons-nous vraiment leur vie d’élu local, notamment dans les petites et moyennes communes ? Au-delà des raccourcis et des dérives ultra-minoritaires, des portraits caricaturaux d’individus qui seraient motivés par le pouvoir et les avantages, du « tous pourris » et du « s’ils le font la soupe doit être bonne », nous rendons-nous compte de la force de leur engagement ?
On m’objectera qu’ils l’ont choisi. C’est vrai et l’objectif ici n’est pas de les plaindre. Mais quand ils ont fait ce choix, impliquant pour une large partie de leur vie professionnelle ou personnelle, ils n’avaient sans doute pas imaginé la baisse des dotations et donc des marges de manœuvre pour agir, l’exacerbation de l’individualisme et la difficulté à convaincre de l’intérêt général, la montée des incivilités et l’incapacité à y répondre, la complexité administrative et la judiciarisation de la vie locale. On ne leur avait pas dit non plus que le respect, la reconnaissance, le vivre-ensemble risquaient de devenir des notions d’un autre temps. Résultat, près d’un sur deux envisagerait de ne pas se représenter.
Qui veut prendre leur place ?
On argumentera que leur bénévolat n’est pas total. C’est vrai. Mais de quoi parle-t-on ? Pour une commune de 1000 à 3500 habitants par exemple, c’est-à-dire là où le personnel communal est peu nombreux, ce qui vous place en première ligne des sollicitations directes, l’indemnité est de 1 672 euros bruts mensuels. Qui peut penser que cela couvre « les deux fois 35 h » qu’évoquait récemment un maire rural dans la presse, là ou tel autre ajoutait : « La mairie c’est tout le temps ».
Qu’il soit syndical, associatif ou politique, j’ai le plus profond respect pour le militantisme. Mais le choix d’un mandat local est encore plus sacerdotal. Il est le cœur de la proximité, de la relation humaine. Comment imaginer que celui qui fait ce choix n’a pas inscrit au fond de lui et de sa personnalité, la volonté d’aider, de servir ? Comment imaginer que celui qui a fait ce choix n’a pas placé très haut dans ses valeurs personnelles l’écoute et le dialogue ? Comment oublier au-delà des convictions partisanes que le mandat de maire c’est d’abord régler concrètement les problèmes : des écoles à la santé, du gymnase aux espaces verts, du centre-ville au logement social, les champs d’action sont nombreux et la palette de réponses, du micro-problème immédiat à la vision de la commune dans dix ans, sont passionnants. À une condition, celle d’aimer les gens. Et d’ailleurs il suffit de suivre un maire dans sa ville, ou de l’écouter parler de son mandat pour en être convaincu. Malgré les difficultés et les désillusions, il y a dans le mandat de maire de la passion et de l’engagement. Il y a la conviction d’être un maillon essentiel du lien social, celui qu’aucune plateforme numérique ne pourra jamais remplacer.
Ayez une petite pensée pour eux, pendant ces semaines de campagne électorale des municipales, quand vous verrez sortants et candidats, sur vos marchés sous la pluie battante tracts à la main, ou tard le soir devant 12 personnes dans une réunion de quartier. Vraiment, voudriez-vous prendre leur place ?
Bernard Sananes