Interview de Bernard Sananès, président du cabinet Elabe, publiée dans L’Opinion du 2 janvier 2018. Par Ludovic Vigogne.
Comment expliquer l’embellie sondagière d’E. Macron ?
Contrairement aux autres débuts de quinquennat, ce n’est pas l’élection qui a servi de tremplin au nouveau Président mais la mise en route de son action. Quand il y a eu doute sur l’ardeur réformatrice, pendant l’été, les électeurs ont marqué une déception. C’est sa volonté de transformer, de réformer qui constitue son pacte présidentiel. Pour lui, le tournant a été l’émission de TF1, le 15 octobre. La baisse s’est arrêtée. Cette intervention a permis à Emmanuel Macron de s’acheter du temps. Elle a marqué un changement dans sa jurisprudence de communication. Finie la parole rare ! Il a compris qu’il était le meilleur porte-parole de sa politique. Elle a symbolisé aussi la sortie d’un moment d’intense polarisation du débat, incarné par la configuration du second tour de la présidentielle et ces deux totems qu’ont été le Code du travail et l’ISF. On est entré depuis dans un moment d’accalmie.
Par la suite, la remontée du chef de l’Etat s’est accélérée. Il y a à cela trois explications. La première : Emmanuel Macron fédère très solidement ses électeurs du premier tour de la présidentielle. On peut même qualifier son socle de plébiscitaire. Chez les sympathisants de La République en Marche (LREM) et du MoDem, il obtient 90 % de confiance, alors qu’à pareille époque en 2012, Hollande était déjà tombé sous les 80 % chez les sympathisants PS. La deuxième : il a séduit – je ne dis pas qu’il a conquis – une bonne partie de ses électeurs du second tour. Deux sur trois déclarent lui faire confiance. La troisième : il fait baisser l’intensité du rejet de ceux qui n’ont pas voté pour lui.
Jusqu’où cette progression peut-elle continuer ?
Emmanuel Macron a progressé chez les jeunes mais aussi chez les actifs. Il semble avoir mis fin au décrochage chez les classes moyennes. Il reste plus faible dans les milieux populaires, le rural et les petites communes. Il a sans doute quasiment fait le plein à droite : un électeur de Fillon sur deux déclare lui faire confiance. Parmi ses traits d’image positifs dominent le dynamisme, la jeunesse, le sentiment, qui ne cesse de progresser, qu’il respecte ses engagements et le style direct. Il y a aussi un point qui apparaît : « il essaye » de faire bouger les choses.
Mais les traits d’image négatifs demeurent fortement ancrés : l’injustice de sa politique, l’arrogance, un manque de proximité avec tous les Français, mais également, et c’est nouveau, le sentiment qu’il est un « beau parleur ». Si Emmanuel Macron a commencé à répondre au sentiment de déclassement collectif ( la France est de retour), il n’est pas encore parvenu à répondre au sentiment de déclassement individuel.
En quoi sa situation est-elle différente de celle de ses prédécesseurs ?
Beaucoup de responsables politiques ont pensé que les Français étaient partisans de l’immobilisme. La situation est plus paradoxale : on peut être opposé au contenu des réformes mais penser que réformer est indispensable. En cela, Emmanuel Macron a adopté une mécanique de pédagogie efficace. En usant du diptyque « aujourd’hui cela ne fonctionne pas » , et « cette solution on ne l’a pas encore essayée » , il désamorce une partie de l’opposition aux réformes. Depuis son élection, la France n’a pas basculé dans l’optimisme, mais il y a un petit quelque chose qui est de l’ordre de la confiance. Ce n’est pas encore « on va réussir », mais c’est « on va essayer et cela pourrait marcher ». Dans une partie de l’électorat, on est passé d’un vote sans trop y croire à l’envie d’y croire. Mais les Français, échaudés, restent prudents : 43 % considèrent qu’il est encore trop tôt pour juger. En 2018, ils ne jugeront plus une posture ou une intention, mais sur les premiers résultats.
La grille de lecture gauche-droite est-elle encore la plus pertinente pour Emmanuel Macron ?
Il a été élu sur une promesse : changer la politique par le renouvellement et grâce au « en même temps » . Cela lui permet de faire bouger les frontières. C’est assez spectaculaire que cela soit face aux fronts politique, syndical, patronal. Il a d’abord fracturé la droite. Puis sur le Code du travail, il a réussi à constituer une sorte d’axe Gattaz-Asselin-Mailly. Sur l’Europe, cela sera peut-être en 2019 de Juppé à Valls. Sur la réforme de l’entreprise, cela pourrait être de Faber et Frérot à Berger. Cette capacité à faire bouger les frontières rend plus difficile le métier des opposants traditionnels.
L’image d’Edouard Philippe est-elle corrélée à la sienne ?
Leurs courbes sont complètement alignées. Il est intéressant de relever que malgré la plus forte présence d’Emmanuel Macron, il y a eu concomitamment un début d’affirmation d’Edouard Philippe. L’équilibre des rôles est mieux perçu. De la même manière, les ministres experts trouvent leur place car il y a une envie de fond. Chez les Français, il y a le sentiment que la campagne électorale a duré un an et demi et qu’après le débat polémique, l’heure est à l’action. Cela vaut pour la majorité comme pour les oppositions.
Emmanuel Macron est-il un Président sans opposant ?
Au lendemain du premier tour, à tort, nous avons tous expliqué qu’avec 24 % et trois opposants à 20 %, le Président serait affaibli. Cela n’a pas été le cas parce que le scrutin majoritaire lui a logiquement permis d’avoir une large majorité à l’Assemblée et car son sens tactique lui a permis de casser les frontières. Il est aujourd’hui un Président avec de multiples opposants mais pas encore de force d’alternance face à lui. Le projet de loi sur l’immigration aura pour lui un nouvel avantage : il coupe l’herbe sous le pied de deux de ses adversaires, Laurent Wauquiez et Marine Le Pen. Mais ce texte présente aussi un risque : être le premier point de fracture au sein du groupe majoritaire.
Que peut changer l’accession de Laurent Wauquiez à la tête de LR ?
Elle peut donner le sentiment que, contrairement à 2017, il y aura, face à Macron au second tour de l’élection présidentielle de 2022, une opposition capable de gouverner. Laurent Wauquiez va chercher à réinstaller une opposition droite-Macron, pour repousser Macron vers la gauche. L’enjeu stratégique pour le chef de l’Etat sera donc de ne jamais être poussé à gauche et de continuer à trianguler. Il le fait sur l’éducation ou en mettant en avant la lutte contre l’immigration illégale et le contrôle des chômeurs. Sur ces sujets, les électeurs de droite lui sont aussi favorables, voire parfois plus, que ceux de LREM. Elu président du premier parti d’opposition, Wauquiez va prendre une longueur d’avance sur ses concurrents. Il peut aussi faire revenir à droite d’anciens électeurs partis au FN entre 2012 et 2017. Mais il devra gérer un paradoxe. Il ne peut parier, et c’est logique, que sur un échec de Macron. Or une moitié des électeurs de droite ne souhaite pas cet échec !
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